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Une journée classique de l'Empereur



La vie quotidienne du fils du Ciel était fort différente suivant qu'il s'agissait d'un empereur volontariste, dirigeant réellement la politique du pays, comme Kangxi ou Qianlong qui furent souvent à la tête de leurs armées ou en réunion avec leurs ministres, ou d'un souverain faible ou jeune. Dans ce dernier cas, il se laissait dicter son rôle par l'administration interne à la Cour, par le régent ou par l'impératrice douairière. Il se contentait alors de se conformer à l'idéal cosmologique selon lequel sa vertu et son respect des rites suffisaient à exercer une influence heureuse sur l'Empire.

Certains empereurs, en conflit larvé avec l'administration, se consacrèrent uniquement à leurs loisirs, comme le théâtre, la pratique religieuse ou l'art, et tentèrent d'échapper à leurs nombreuses obligations. Celles-ci, outre la présence aux grands rituels et aux audiences, comprenaient des leçons sur les Classiques, données par un grand lettré désigné à cet honneur.

Pour échapper aux règles rigides de la Cité interdite, les empereurs Qing passaient beaucoup de temps dans les palais extérieurs et dans la résidence d'été, à Chengde (200 km au nord de Pékin). Quand ils résidaient dans la Cité interdite, les monarques restaient essentiellement dans sa partie arrière ou "intérieure", où les zones et les appartements privés, réservés aux différents membres de la famille impériale, étaient bien délimités.

Sous les Ming et au début des Qing, le souverain demeure dans le palais de la Pureté céleste, puis, après Yongzheng, dans le pavillon des Nourritures de l'Esprit, des espaces "privés" qui en réalité n'offrent pas de réelle intimité. La journée d'un empereur très actif, comme Qianlong, commence à l'aube par l'étude des chroniques ou des archives anciennes.

Vers huit heures , il examine la liste des membres de la famille impériale et des fonctionnaires qui demandent audience. La matinée est consacrée aux audiences et à la lecture des mémoires adressés au trône. L'après-midi, il traite les rapports que lui ont fait parvenir ministres et gouverneurs provinciaux, par l'intermédiaire du Conseil d'Etat.

Les audiences officielles de la Cour



Le devoir de l’Empereur exigeait qu’il reçoive quotidiennement les membres les plus importants du gouvernement, afin de traiter les affaires politiques, de recevoir les hommages des fonctionnaires nommés en province ou revenant à la capitale, ou venus présenter une requête.

Des audiences étaient également prévues pour les affaires militaires, la présentation des livres "officiels" ou l'octroi de titres nobiliaires. Le cérémonial très austère de ces entrevues, qui se déroulaient à l'aube, était pénible à l'empereur. Incarnation de l'ordre céleste, il trônait plusieurs heures durant, immobile. Du costume impérial, variant selon l'occasion, à la musique, tout était strictement codifié.

Le protocole était plus pénible encore pour les fonctionnaires qui devaient se tenir debout dans la cour, devant la salle d'audience, été comme hiver, qu'il vente ou qu'il neige. Des censeurs notaient le nom de ceux qui étaient absents.

Il arrivait fréquemment que le fils du Ciel refuse de se plier à cette obligation, ce qui ne manquait pas de motiver les réprimandes des censeurs. La défection de l'empereur ne paralysait pas la vie politique, mais créait une coupure dangereuse entre lui et les fonctionnaires en poste dans l'Empire. Le souverain ne communiquait alors avec son pays que par l'intermédiaire des eunuques et de la famille impériale.

A la fin des Ming, les empereurs Jiajing et Wanli refusèrent très tôt de participer aux audiences, en protestation contre l'ingérence du gouvernement dans leur vie privée.

Les religions traditionnelles de l'Empire Chinois



Les trois grandes religions de la Chine ancienne sont le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme. Elles ont encore leur clergé et leurs temples propres. Le peuple ne les pratiquait ni toutes les trois ensemble ni chacune séparément. Faute de coordination à l'échelle impériale, il s'était formé, peu à peu, une religion populaire qui avait fait des emprunts aux trois grandes églises organisées et reconnues mais qui doit être cependant considérée comme un système à part, avec des variations régionales. Rien n'est plus faux que ce préjugé très répandu, d'après lequel tout Chinois était bouddhiste.

Sur la religion populaire se greffaient :

- des cultes corporatifs, centrés autour de personnages choisis comme patrons par les mandarins, les artisans, les commerçants, les marins, les paysans, les soldats, les médecins etc.

- des associations plus ou moins secrètes à tendances sociales, politiques ou chamaniques. Elles recherchent des états de transe, de possession et d'émotivité, quelquefois associés à une promiscuité sociale, religieuse et sexuelle. Ces pratiques constituent ce que les décrets impériaux appelaient les cultes vicieux.

- le culte officiel rendu par la famille impériale aux patrons de la dynastie, Kouan-ti et Kouan-yi.

La religion officielle avait comme ministres l'Empereur, l'Impératrice et leurs représentants dans tout l'Empire, les lettrés fonctionnaires. Plutôt que les prêtres, c'était les maîtres de cérémonies destinés à honorer Confucius et ses disciples ainsi que les personnages historiques, divinisés pour services éclatants rendus au pays ou à la dynastie. En vertu de l'identité entre le monde céleste et le monde impérial, ils pouvaient également rétrograder ou donner de l'avancement à certains génies ou dieux-fonctionnaires. 

En dehors de ce rôle positif, les mandarins avaient comme rôle de limiter l'expansion du bouddhisme et du taoïsme par une hostilité basée sur des considérations exclusivement politiques et sociales (évasion de l'impôt, improductivité et infécondité du clergé ; accumulation stérile des biens mobiliers et immobiliers). 

Il n'était officiellement fait appel aux prêtres que comme spécialistes de certains rites indispensables (prières pour les défunts, guérison des maladies ou obtention de la pluie) sans marquer une préférence pour telle ou telle religion. Plus encore que les bonzes et les Tao-che, les animateurs des "cultes vicieux" cherchant à entrer en communication avec le surnaturel étaient poursuivis par l'hostilité officielle. A l'attitude "dionysienne" et à l'émotivité excessive des cultes "débordants", les lettrés-fonctionnaires ont toujours opposé leurs tendances "appoliniennes" centrées sur la recherche du Juste Milieu et d'un équilibre mental.  

L'Armée Impériale


L'Autorité de l'Etat impérial reposait sur sa puissance militaire. Toutes les dynasties ont redouté le danger présenté par la force militaire à l'intérieur comme à l'extérieur. Les dynasties ne se révélèrent puissantes et durables que dans la mesure où elles parviennent à contrôler leurs propres armées. Mais il n'est pas facile de déterminer quel système militaire servait le mieux leurs desseins. Les paysans enrôlés dans les milices, qui posaient le moins de danger à l'intérieur, risquaient d'être inefficaces sur les champs de batailles eux frontières. Quant à l'armée de métier, plus efficace en cas de guerre, elle pouvait aussi se montrer plus délicate à contrôler sur le plan intérieur.

Sous les Han, tous les citoyens de sexe masculin étaient enrôlés pour faire leur service militaire quand ils atteignaient l'âge de 20 ans ; ils restaient mobilisables de 23 à 56 ans. Tout citoyen de sexe masculin était théoriquement tenu de participer un mois par an à un entrainement militaire après la récolte d'automne ; une fois dans sa vie, il devait servir un an dans les milices de la capitale. Concrètement ce système était inapplicable et l'habitude fut rapidement prise de monétariser la transaction : tous les hommes susceptibles d'être enrôlés payaient une taxe servant à rémunérer les volontaires qui s'engageaient pour une durée de un an ou davantage, ainsi que les conscrits trop pauvres pour payer.

Au milieu du VIe siècle, la dynastie des Wei occidentaux institua un nouveau système de milice. Toute famille ayant plus de deux fils devait en détacher un de façon définitive dans une garnison ; il y avait une centaine de garnisons reparties dans tout les pays. Les miliciens (mais non leur famille) étaient exemptés d'impôts et de corvées diverses. L'Etat pourvoyait à l'essentiel de leurs besoins, mais, dans l'intervalle de leurs activités militaires, les garnisons étaient censées être autarciques, cultivant les terres mises à leur disposition par l'Etat.

Sous les Han, tous les citoyens pouvaient être enrôlés dans le cadre d'un service militaire de courte durée. Dans le système de la milice Tang en revanche, une unité militaire composée de soldats de carrière s'adonnait à des travaux agricoles pour subvenir à ses propres besoins. Le service de la milice jouissait d'une haute estime, notamment dans les premières décennies de la dynastie Tang. Les familles aisées rivalisaient pour y placer leurs fils et ceux-ci y restaient jusqu'à 60 ans.

Outre les gardes impériaux issus du système des milices, il existait dans la capitale une armée permanente, dite armée du Nord ou armée du palais, qui servait de garde prétorienne à l'empereur. C'est cette armée qui jouissait du prestige militaire le plus élevé et, jusqu'au VIIIe siècle, elle demeura un corps d'élite qui constituait le fer de lance des forces Tang sur le champ de bataille. Comparativement, les miliciens affectés au corps de garde de la capitale étaient moins bien traités, et ils furent progressivement transformés en domestiques au service des dignitaires de la cour. Les citoyens en vinrent à éviter le service de la milice et, en 749, la force et le prestige de cette institution avaient tant décliné qu'on cessa de nommer des miliciens dans la capitale.

Les débuts de l'ère impériale ne connurent pas d'innovations spectaculaires dans les arts de la guerre, si ce n'est l'étrier, venu des steppes, qui améliora grandement l'efficacité au combat des archers montés. Pendant toute la dynastie Tang, l'arbalète demeura l'armée suprême de l'armée chinoise, même si la poudre à canon venait d'être inventée et commençait à être utilisée dans les feux d'artifice. 

Les mandarins sous la dynastie Tang

 
 
C'est sous la dynastie des Tang (618-907) que date l'instauration d'un système de recrutement des "mandarins" (guan en chinois). Mandarin est un terme portuguais provenant du mot sanskrit signifiant "conseiller". Ces mandarins formeront l'épine dorsale de l'administration chinoise pendant des siècles. Calqué sur une hiérarchie prônée par les Codes rituels de l'ère archaïque, ce système administratif est fondé sur le mérite des individus dûment sélectionnés, ce qui permet d'éviter tout accaparement par la noblesse de ces fonctions indispensables à l'organisation de la société la plus nombreuse de la planète.
 
Le système mandarinal comprend deux catégories, celle des "mandarins dans le système" (liunei) qui ont accès aux postes supérieurs de l'administration et celle des "mandarins hors du système" (liuwai) ou fonctionnaires subalternes, dont la présence aux audiences impériales est interdite mais à qui il est possible de rejoindre la première catégorie dès lors qu'ils ont subi avec succès les épreuves d'un concours ; chacun de ces grades mandarinaux est divisé en neuf échelons ; pour les "mandarins dans le système", ces neufs échelons sont eux-même assortis de trente classes.Ainsi la carrière des mandarins de haut rang ressemble à un véritable parcours du combattant. Le sommet de la pyramide demeure réservé "aux mandarins fonctionnaires", qui passent, dans l'ordre protocolaire impérial, devant les "mandarins à titre civil" et les "mandarins à titre militaire".
 
Soucieux d'établir le pouvoir d'Etat dont ils détiennent le plein contrôle, les empereurs Tang s'efforcent de substituer cette hiérarchie mandarinale à la hiérarchie nobilitaire traditionnelle, laquelle comporte neuf niveaux, allant de baron à prince. Ils contraignent les grandes familles nobles à échanger leurs fiefs contre des revenus et mettent en place un système hééditaire dégressif (un fils ne pourra hérité que d'un échelon nobiliaire ou mandarinal inférieur à celui de son père), non sans faire coiffer, au passage, le Bureau des Titres nobiliaires par le ministère des Fonctionnaires (Libu). Tout le système administratif des Tang repose sur l'écrit, les ordres les plus importants étant signés par l'empereur lui-même. Le pouvoir mandarinal est fondé sur la capacité de ses membres à écrire et à lire les caractères de la langue écrite afin de diffuser les lois et les règlements dans l'ensemble du pays. De nombreux textes, pour être valables, doivent reçevoir plusieurs contreseings. Plus un mandarin bénéficie d'un grade élévé, et plus il lui est nécessaire de connaître d'idéogrammes (jusqu'à dix mille pour les mandarins les plus expérimentés).

Kaifeng, capitale des Song du Nord


Kaifeng dans la province du Henan se situe dans la plaine centrale de la Chine, parcourue par le fleuve jaune. Centre de communication et place stratégique depuis l'Antiquité, la ville, à partir des Cinq Dynasties, est appelée Kai-feng-fu, ou capitale orientale, mais ce n'est qu'avec les Song du Nord qu'elle devient véritablement capitale de l'empire (sous le nom de Dong-jing, capitale orientale) et connaît un développement sans précédent ; elle est alors à la fois centre du pouvoir politique et, en raison de sa situation, centre des voies navigables ainsi que métropole commerciale de la Chine. On l'appellera Bian-jing ou Bian-liang.

La ville d'abord cernée par une triple enceinte sera bientôt percée de nouvelles avenues, verra se développer de nouveaux bazars et marchés et comptera, estime t-on, 600 000 à 700 000 habitants, ce qui en fait, à l'époque, la plus grande agglomération du monde.

Les strictes mesures de surveillance urbaine et de réglementation des activités qui avaient cours sous les Tang (en particulier à la métropole Chang'an) avaient été abandonnées, le négoce atteindra à Bian-liang un degré de prospérité inouï ; au long des rues illuminées, les affaires se traient de nuit comme de jour, et l'animation de cette cité résolument moderne est incéssante.

De nombreuses chroniques anciennes nous sont restées qui en décrivent tous les aspects : le Dong-jing meng-hua-lu ou Chronique des splendeurs de rêve de la capitale orientale, oeuvre, de 1147, de Meng yuan-lao, nous renseigne sur ses fastes, ses rues grouillantes de monde, ses multitudes d'échoppes, de restaurants, de cabarets, sur ses théâtres et lieux de plaisir, sur ses bazars, ses incessantes activités commerciales (cette vie urbaine sera reconstituée plus tard à Hang-zhou, la capitale des Song du Sud, on en trouvera l'évocation fidèle sur la bade de documents traduits).

La ville sera à l'apogée de son éclat et de sa prospérité au début du XIIe siècle, sous le règne de l'empereur Huizong, avant de tomber brusquement en 1126 aux mains des envahisseurs Jürchen (tribus toungouses originaires de la province de Heilongjiang actuel, qui se constituent en empire Jin) et d'être reléguée au rang de capitale méridionale par les occupants. 

Les dragons des robes de cour sous les Qing

Le protocole était très précis à la cour des Qing. Les habits devaient indiquer exactement le rang de chacun conformément à une sorte de code. Les couleurs, les motifs décoratifs avaient fait l'objet de lois impériales publiées en 1759. Ces quelques exemples sont extraits d'un album dédié à l'intention des notables au XIXe siècle.

Le vêtement principal, porté par les hommes comme par les femmes sous une tunique de soie d'un bleu très foncé, était une robe, tombant jusqu'aux chevilles, brodée de dragons, motif symbolisant la puissance. Les dragons à cinq griffes arborés par l'empereur et ses proches parents étaient jaunes, la couleur de la dynastie.

Enfin la représentation des symboles de la terre et du ciel achevait de caractériser le vêtement de l'empereur. Les hauts personnages portaient aussi des robes à motifs de dragons ; mais elles étaient tissées en soie bleue et leur dessin n'était pas aussi élaboré.

La robe d'été d'un prince impérial était décorée d'une profusion de vagues et de vagues et de nuages imbriqués les uns dans les autres. Les fils des princes impériaux portaient en automne, une robe de demi-saison garnie de fourrure.

Ces dispositions furent de moins en moins respectées au cours du XIXe siècle. Un nombre croissant de fonctionnaires subalternes couvrirent leurs vêtements de prestigieux dragons à cinq griffes. On autorisa certains étrangers, notamment les missionnaires catholiques, à porter des habits de cour et, dès la fin du siècle, les Occidentaux avides d'exotisme n'hésitèrent pas à s'en parer.